Un après midi pluvieux de 98′, Senbeï est allé acheter un skeud à l’Audito… Et pas n’importe lequel!
Ness & Cité – Par tous les Moyens
Un Mercredi après-midi pluvieux du mois de Mai 1998, direction L’Audito : un disquaire de la rue piétonne du Havre où l’on trouvait rarement notre bonheur mais, faute de mieux, on y passait au moins une fois par semaine. Cette fois, je savais que je ne repartirai pas bredouille. La ville était, depuis plusieurs jours, recouverte d’affiches annonçant la sortie du 1er maxi de Ness & Cité : « Par tous les Moyens ». Ce titre, avec un peu de recul et lorsque l’on connaît la suite de l’histoire, en disait finalement déjà bien long sur la détermination du groupe…
Depuis plus d’un an, la K7 « Mise au Point » du Cio Poss (première compilation Hip Hop de Normandie) tournait en boucle dans tous les walkmans des jeunes havrais et le titre « Quoi de 9 » de Ness & Cité en était un des points forts. Alors forcément, la sortie du tout 1er CD de rap havrais était un événement et nous sommes nombreux à l’avoir acheté.
Dans le bus, en attendant d’être chez moi pour pouvoir écouter ce maxi fraîchement acquis, je décortiquais le livret. La pochette était en fait une photo prise de nuit, du parking d’Auchan du quartier Mont Gaillard (MG). Tout un symbole ! Outre les noms de Proof, Sals’A et Kenny D.O.G (membres de Ness & Cité), d’autres noms importants étaient associés à ce projet. DJ Keem (pionnier du Hip Hop havrais) posait des scratchs sur l’« Intro ». David Brodey de la Mafia Underground, en plus de s’être occupé du mix du CD, avait produit « Pourrir dans le Béton » sur lequel la rappeuse Bams était présente. Tous ces invités avaient, avec Ness & Cité, participé peu de temps avant à une pièce de théâtre axée sur le Hip Hop qui s’appelait « Le Festin ». J’en déduisis, peut être naïvement, que le courant entre toutes ces personnes était bien passé. Sur le disque, il y avait également le nom de deux autres rappeurs locaux assez prometteurs. Razzia et un certain Global qui, un peu plus tard, préférera qu’on l’appelle par son prénom : Médine.
Je mis enfin le CD dans ma platine et là, 1er constat : ça sonnait très bien ! Le disque enregistré au studio Honolulu au Havre n’avait rien à envier, en termes de qualité sonore, à ses voisins parisiens. A l’écoute de ces 5 titres, on ressentait un réel travail et une certaine maîtrise qui seront rapidement confirmés avec les projets suivants. Ce maxi, teinté d’une certaine mélancolie, ne tombait pas dans la pleurnicherie pour autant. Le but étant d’avancer et de se prendre en mains malgré les difficultés. Pas de s’apitoyer sur son sort. La vie de quartier est pesante alors, au lieu de « Pourrir dans le Béton », pourquoi ne pas essayer de s’en sortir « Par tous les Moyens », en essayant par exemple de « changer l’ambiance de ces coins, faire plus de cert-con… ».
Musicalement, le style était assez proche de ce qu’était le rap français de l’époque, c’est-à-dire : un beat, une basse et des samples de piano et de violon. Mais les arrangements, des chœurs discrets ou le saxophone de Dominique Delahahaye à la fin du morceau éponyme apportaient un grain particulier à ce disque. Au micro, les rappeurs se renvoyant la balle avec assurance, donnaient cette impression que non seulement un cap important était franchi mais qu’en plus, ils ne s’arrêteraient pas là ! Un mois après la sortie du CD, Ness & Cité se produisait sur scène, dans les rues piétonnes du Havre, à l’occasion de la Fête de la Musique. Ce fût l’occasion de constater que leurs textes étaient déjà connus par cœur par tous les havrais de l’époque qui écoutaient du rap, avec une affection particulière pour ces phrases qui sonnaient comme des slogans : « Le Havre : forêt vierge pour les groupes de rap » ou « Le Havre : j’y suis né, j’y vis, j’y meurs ». La jeunesse havraise était fière d’être représentée sur CD et nul doute que beaucoup de groupes de rap havrais ne se seraient pas lancés sans cette preuve, qu’est « Par tout les Moyens », que vivre son rêve était possible.
https://www.youtube.com/watch?v=4ozaB_pa_VE
Texte: Senbeï